Marie Treps …

 

Linguiste et sémiologue, j’entre au CNRS en 1974 et m’attelle à la rédaction du Trésor de la langue française. Je commence, à Nancy, ma carrière de lexicographe avec le mot chaise, emblématique de ma nouvelle fonction – particulièrement assise – et je cite avec bonheur Raymond Queneau :

Les cafés à l'entour avaient depuis longtemps couché sur leurs tables de marbre leurs chaises tendrement rabotées par des derrières peu soucieux de voyages.
Pierrot mon ami, 1942

Je me découvre en chemin un penchant pour les mots à la fois technique et poétique – onde, par exemple. Je termine, vingt ans plus tard, avec le verbe trouver – le hasard en a décidé ainsi – et j’ouvre cet article trapu avec un Gérard de Nerval étonnamment léger :

Mille fanfreluches, parmi lesquelles éclataient deux petits souliers (...) avec des boucles incrustées de diamants (...) « Oh! Je veux les mettre, dit Sylvie, si je trouve les bas brodés ! »
Les Filles feu, Sylvie, 1854


Je rejoins alors le Laboratoire d’anthropologie urbaine, à Ivry-sur-Seine, pour investir un nouveau domaine, celui des études tsiganes. Décidément linguiste, je m’intéresse au romeno lap, nom intime en usage chez les Manouches. Encouragée par Patrick Williams, je fais mes investigations en Lorraine. À Nancy et Metz, villes pourtant familières, je découvre des lieux de vie insoupçonnés. Là comme ailleurs en France, pour trouver des Manouches, le plus simple est d’aller du côté de la station d’épuration des eaux ou de l’usine de traitement des ordures.
Pour rendre compte de ce qui m’est confié, je publie des articles dans la revue Études tsiganes et m’essaye à la nouvelle – portraits de femmes publiés dans la revue Travioles. Sur cette lancée, pour accompagner les photographies de Michèle Brabo, j’écris, à la demande de Jacques Binsztok, « Quelque chose du dedans » (dans Le Vent du destin Manouches, Roms et Gitans, 2005).

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Par ailleurs, je m’intéresse à certains territoires ludiques de la langue française, négligés des linguistes et des lexicographes mais si bien cultivés par tout un chacun que l’on y voit prospérer notre imaginaire linguistique. Ainsi naissent Allons-y, Alonzo! Ou le petit théâtre de l'interjection, Le Dico des Mots-caresses et Calembourdes, édités par Nicole Vimard entre 1994 et 1999.

Insensiblement, mon appétit pour la créativité langagière me conduit vers l’emprunt. Le français écrit son histoire au contact d’autres langues, d’autres cultures…
Comment parlerions-nous français aujourd’hui si nous n’étions un tantinet polyglottes ? Nous avons fait nôtres des centaines de mots migrants, venus de chez nos voisins européens ou de l’autre bout du monde. J’ai raconté leur histoire, rendant à chacun sa couleur propre, son parfum singulier, à travers six voyages – Les Mots voyageurs. Petite histoire du français venu d’ailleurs, édité par Jacques Binsztok en 2003.
Si notre langue a généreusement accueilli les mots étrangers, elle a aussi essaimé. Trace durable de la grande histoire ou hasard des petites rencontres et des modes, la langue française vit d’une autre vie dans une Europe furieusement toquée de mots et d’usages venus de France. J’ai relaté cette fascination et ses revers au fil d’une promenade – Les Mots migrateurs. Tribulations du français en Europe, édité par Monique Labrune en 2009.
Les livres évoqués jusqu’ici sont publiés aux Éditions du Seuil.

Je n’en avais pas fini avec ces mots bourlingueurs qui se trouvent bientôt mis en scène graphiquement. Pour les Éditions Larousse, j’écris « Le Passionnant Voyage des mots », illustré par Moebius, publié dans le Petit Larousse 2007.
Pour les Éditions du Sorbier, je m’adresse au jeune public avec deux albums illustrés avec humour par Gwen Kéraval et édités par Caroline Drouault. Les Mots-oiseaux. Abécédaire des mots venus d’ailleurs (2008), puis Lâche pas la patate ! Mots et expressions francophones (2009).
Pour l’éditrice genevoise Suzanne Hurter, j’écris « Le Français, une langue hospitalière », contribution élégamment accompagnée d’œuvres de Georges Rousse (dans Traversées francophones, publié en 2010 à l’occasion du XIIIème Sommet de la Francophonie).

Me souvenant de mes premières amours, me voici encore à débusquer, dans le politiquement correct ambiant, l’empreinte de notre belle imagination langagière. Le français écrit aussi son histoire à travers des péripéties loufoques…
Je reviens sur ces petits mots, graves ou légers, émouvants ou osés, qui enjolivent nos dialogues intimes et s’échangent au quotidien, avec Les Mots-caresses. Petit inventaire affectueux, édité par Anne Cadiot,
CNRS Éditions, 2011.
Puis, je m’attaque aux surnoms des hommes et des femmes politiques, témoignages fantaisistes d’intimité divulgués dans l’espace public. Des plus aimables aux plus féroces – le pire ne venant pas toujours du camp adverse – ces mots-là reflètent des courants de sympathie ou cristallisent des conflits d’opinion, voire des haines. La Rançon de la gloire. Les surnoms de nos politiques, édité par Hugues Jallon, Éditions du Seuil, 2012.
Notre génie linguistique ne cesse de m’émerveiller, fut-ce quand il orchestre la déglingue de notre belle logique verbale. Si le calembour est partout – même chez les meilleurs auteurs – il n’a pas bonne presse. Pourtant, à peine proféré, il déclenche le rire. Intentionnel ou non, il n’est jamais stupide ; en malmenant les mots, c’est avec les idées que l’on joue. Subtilement.
« Enchanté de faire votre plein d’essence ! » et autre joyeuses calembourdes, édité par Guillaume Dervieux, La Librairie VUIBERT, 2013.

... En bref, talonnée par le démon de la curiosité, inspirée par le désir de faire partager des connaissances et un certain regard, j’explore la langue française et fais le récit de mes découvertes, dévoilant au passage l’inépuisable imagination de ceux qui, en parlant notre langue, ne cessent de la façonner.

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Depuis plusieurs années, et surtout après la publication des Mots voyageurs et des Mots migrateurs, je participe à des débats, dirige des ateliers ou donne des conférences, en France comme à l’étranger : Algérie, Allemagne, Danemark, Hongrie, Israël, Italie, Liban, Maroc, Pays-Bas, Suisse, Taiwan, Turquie…
J’interviens dans la presse écrite et audiovisuelle – entretiens, débats.

À la demande de France Inter, j’anime une chronique radiophonique sur le thème des Mots voyageurs (en 2004).

Je communique (causeries destinées au grand public, conférences, colloques, séminaires) et publie des travaux spécialisés (revues scientifiques, actes de colloques) dans les divers domaines évoqués. Je dirige des ateliers, encadre des étudiants et participe à des jurys au sein d’écoles d’art ou de design.

Depuis 2012, je suis membre du conseil d'administration de l'association Défense de la langue française.


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